Le salarié qui signe une transaction comportant une formule générale de renonciation à toute contestation ou demande d’indemnisation ultérieure ayant pour origine l’exécution ou la rupture du contrat de travail s’interdit de réclamer ultérieurement une indemnisation au titre de la clause de non-concurrence (Cass. soc. 17 février 2021 n° 19-20.635).
Cette décision, publiée au Bulletin, soulève d’importantes questions pratiques.
1. La décision du 17 février 2021
Un salarié dont le contrat de travail comporte une clause de non-concurrence conclut une transaction avec son employeur suite à son licenciement.
La transaction prévoit ce qui suit :
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Les parties reconnaissent que leurs concessions réciproques sont réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif, ceci afin de les remplir de tous leurs droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister entre elles
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Les parties déclarent, sous réserve de la parfaite exécution de l’accord, être totalement remplies de leurs droits respectifs et renoncer réciproquement à toute action en vue de réclamer quelque somme que ce soit.
La transaction est muette concernant le sort de la clause de non-concurrence (CNC). La clause de non-concurrence n’est pas levée par l’employeur dans le délai prévu et l’employeur ne paye pas l’indemnité de non-concurrence.
Un an après la conclusion de cette transaction, le salarié saisit le CPH et sollicite donc le paiement l’indemnité de non-concurrence.
La Cour d’appel fait droit à sa demande aux motifs :
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Que l’employeur « ne justifie pas avoir expressément levé la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail lors du licenciement ou postérieurement»
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Que la transaction ne comporte aucune mention sur la question de l’indemnité de non-concurrence due au salarié dont il résulterait que les parties au protocole ont entendu régler la question
Cette décision est cassée.
Pour la Cour de cassation : « Il résulte des dispositions des articles 2044 et 2052 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle de la loi n 2016-1547 du 18 novembre 2016, et 2048 et 2049 du même code, que les obligations réciproques des parties au titre d’une clause de non-concurrence sont comprises dans l’objet de la transaction par laquelle ces parties déclarent être remplies de tous leurs droits, mettre fin à tout différend né ou à naître et renoncer à toute action relative à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail ».
2. Une décision au carrefour de 2 mouvements jurisprudentiels
Il était de jurisprudence constante que les obligations destinées à s’appliquer postérieurement à la rupture du contrat de travail (priorité de réembauchage, options sur titre, CNC, etc.) ne soient pas incluses dans le champ de la transaction en l’absence de mention expresse.
Il était ainsi jugé de manière récurrente à propos de la CNC que « Les clauses contractuelles destinées à trouver application postérieurement à la rupture du contrat de travail ne sont pas, sauf dispositions expresses contraires, affectées par la transaction intervenue entre les parties pour régler les conséquences de cette rupture » (Cass. soc., 6 mai 1998, n°96-40.234 ; Cass. soc., 01 mars 2000, n° 97-43.471 ; Cass. soc., 5 avril 2006, n° 03-47.802 ; Cass. soc., 20 mai 2009, n°07-44.576 ; Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 09-72.785 ; Cass. soc., 18 janvier 2012, n°10-14.974).
La Cour de cassation exigeait donc antérieurement que les parties renoncent à la CNC par une mention expresse figurant dans la transaction et ce même lorsque la transaction était rédigée en des termes généraux, la renonciation à se prévaloir de la CNC devait y être expressément mentionnée.
En l’absence d’une telle mention :
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Le salarié restait tenu de respecter la CNC et l’employeur pouvait invoquer la violation éventuelle de son obligation de non-concurrence
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Le salarié pouvait réclamer le versement de la contrepartie financière
Toutefois, depuis 2014, la Chambre sociale la Cour de cassation a donné plein effet aux clauses transactionnelles générales par lesquelles les parties déclarent être remplies de l’ensemble de leurs, mettre fin à tout différend et renoncer à tout recours lié à l’exécution ou à la rupture du contrat ( Cass. soc. 5 novembre 2014, n° 13-18.984; Cass. soc. 11 janvier 2017 n° 15-20.040 ; Cass. soc., 30 mai 2018 n° 16-25.426 ; Cass. soc., 20 février 2019, n°17-19.676).
La question était donc posée de savoir quel courant jurisprudentiel la Cour de cassation déciderait de suivre dans cette affaire.
L’avocate générale proposait dans son avis de continuer à suivre le 1er courant estimant que la renonciation par l’employeur à l’obligation de non-concurrence ne se présume pas et doit résulter d’actes manifestant sans équivoque la volonté d’y renoncer.
La Cour de cassation en a décidé autrement.
Cette décision du 17 février 2021 renforce donc le 2nd mouvement jurisprudentiel concernant la portée d’une transaction en l’appliquant à la clause de non-concurrence.
3. La portée de l’arrêt du 17 février 2021
a) Veiller avec soins à la rédaction d’une transaction
La décision du 17 février 2021 concerne la portée d’une transaction rédigée en des termes généraux.
Concernant le sort de la CNC, la position de la Cour de cassation pourrait être différente en présence d’une transaction rédigée en des termes précis, sauf sur la question de la clause de non-concurrence !
b) Un silence préjudiciable tant côté employeur que salarié
A notre sens côté employeur, si la CNC n’est pas levée et que la transaction est rédigée en des termes généraux, l’employeur ne pourra donc plus évoquer une violation éventuelle de la CNC par le salarié.
Le consentement de l’employeur à la transaction peut également être vicié si l’employeur n’a pas connaissance, lors de la signature de la transaction, que le salarié est déjà parti à la concurrence, alors même que la CNC n’a pas été levée.
Si l’intention de l’employeur est de maintenir la CNC, le sujet doit être purgé clairement dans la transaction.
Le seul avantage de la décision du 17 février 2021 est de constituer un filet de secours pour l’employeur qui aurait simplement oublié de lever la CNC dans le délai alors qu’il n’avait pas l’intention de maintenir cette clause et souhaitait s’affranchir du paiement de l’indemnité de non-concurrence.
De même, côté salarié, si la CNC n’est pas levée et que la transaction est rédigée en des termes généraux, le salarié risque de perdre son droit à l’indemnité de non-concurrence sur laquelle il comptait, tout en devant dans ce cas respecter son obligation de non-concurrence…ce qui limite sa liberté.
c) Le nouvel article 2044 du Code Civil
Cet arrêt a par ailleurs été rendu au visa des articles 2044 et 2052 du code civil dans leur version antérieure à la loi du 18 novembre 2016.
Désormais l’article 2044 dispose : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
La question reste ouverte de savoir qu’elle sera la position de la Cour de cassation au visa de la nouvelle rédaction de l’article 2044 qui impose clairement des concessions réciproques conformément à la jurisprudence constante.
Tout risque d’annulation d’une transaction, notamment en cas de concessions non réciproques ou de vice du consentement, n’est jamais à écarter de sorte que dans une telle hypothèse le sujet CNC ne serait pas tranché, employeur et salarié étant soumis à risque.
En pratique, aucune des parties n’a donc vraiment intérêt à « faire l’autruche » sur le sort d’une CNC en cas de transaction et nous recommandons plus que jamais aux employeurs de veiller à lever la CNC dans les conditions prévues, si tel est leur souhait, et aux parties de purger cette question clairement dans la transaction.
A suivre…